Industrie 5.0

Expert·e·s : Dominique Foray (EPFL), Pierangelo Gröning (RMS Foundation)

L’industrie 5.0 est la dernière étape de développement de la révolution industrielle. Elle s’appuie sur l’industrie 4.0, qui a donné naissance à la numérisation, à l’automatisation et à la mise en réseau des machines et des processus. En revanche, l’industrie 5.0 place l’humain au centre. Les technologies de fabrication hybrides associent l’expérience humaine à l’intelligence artificielle, à la robotique ou à l’Internet des objets, créant ainsi une valeur ajoutée qui permet à une entreprise de produire de manière personnalisée, flexible et durable. Il s’agit en outre d’améliorer les compétences et les possibilités du personnel et donc de valoriser leur poste de travail.

Image: iStock

Définition

Le terme « industrie 5.0 » a été défini en 2021 dans un livre blanc de la Commission européenne sur une industrie du futur à la fois compétitive, durable et sociale. L’accent n’est plus mis sur la faisabilité technique, mais sur l’humain, qui propose son expérience et ses compétences en matière de résolution de problèmes dans le processus de production. L’industrie 5.0 repose directement sur la quatrième révolution industrielle, souvent appelée industrie 4.0. Le passage de l’industrie 4.0 à l’industrie 5.0 est un changement de paradigme qui utilise des technologies de pointe pour intégrer le rôle de l’être humain, aussi bien le personnel que la clientèle, dans le processus de production. L’objectif est de créer une technologie de fabrication hybride qui, d’une part, redonne au personnel son rôle central, renforçant et valorisant ainsi son poste de travail, et qui, d’autre part, propose à la clientèle un produit durable. 

Grâce à la convergence de la numérisation, du big data et de l’intelligence artificielle (IA), le personnel qui pilote une ligne de production industrielle est directement mis en relation avec la clientèle qui a des souhaits particuliers pour son produit. Les systèmes d’IA, par exemple, évaluent en temps réel les volumes de données générés par les relations avec la clientèle et aident ainsi à la prise de décision en vue d’une optimisation continue des produits. Les cobots (robots collaboratifs) sont reliés au personnel par le biais d’interfaces d’utilisation et associent leur créativité et leur capacité de résolution des problèmes à la précision et à l’endurance des machines dans le processus de production. La réalité augmentée (AR) et la réalité virtuelle (VR) offrent des environnements d’entraînement immersifs et apportent une assistance lors de travaux de montage ou de maintenance complexes. Une autre préoccupation est d’améliorer le bien-être du personnel, par exemple grâce à des exosquelettes ou des technologies portables bioinspirées, qui soutiennent les personnes dans les processus de travail stressants. 

Applications et opportunités actuelles

Les applications de l’industrie 5.0 restent actuellement très limitées. Les applications d’IA dans le domaine du service à la clientèle en sont les premiers exemples. Les systèmes d’IA peuvent évaluer les données des consommateurs et consommatrices en temps réel et intégrer directement les résultats dans des produits et des services résolument orientés vers la clientèle. On utilise de plus en plus de moteurs d’appariement, qui adaptent directement les processus des lignes de production aux besoins de la clientèle, à l’instar des moteurs d’appariement du domaine financier, qui comparent la demande en achat et les offres de vente en temps réel grâce à des algorithmes spécifiques et créent les liaisons appropriées. 

D’autres applications sont développées dans l’industrie manufacturière. Dans les processus de travail semi-automatisés, les cobots allient le savoir-faire des spécialistes à la précision et à l’endurance des machines. La personne n’est pas remplacée par les robots, mais soutenue dans les tâches monotones ou physiquement éprouvantes. L’objectif est de permettre aux personnes de se consacrer à des activités plus créatives ou à plus grande valeur ajoutée. 

Avec des outils numériques, l’industrie 5.0 veut amener continuellement le personnel à relever les défis en perpétuelle évolution de la fabrication. Un tel perfectionnement permet de valoriser le poste de travail humain. Cela renforce la motivation et la satisfaction du personnel, ce qui réduit non seulement la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, mais rend également les processus de production plus agiles et plus résilients, ce qui apporte au final des avantages économiques.  

La valorisation de la contribution humaine a un effet positif sur la fiabilité, l’efficacité des ressources et la productivité d’une entreprise dans tous les processus de travail et lui confère un avantage concurrentiel sur les marchés de demain. En outre, les entreprises peuvent renforcer leur engagement en faveur du développement durable, améliorer la collaboration avec les parties prenantes et prendre des décisions agiles et basées sur les données. 

Défis

La mise en œuvre du concept de l’industrie 5.0 nécessite une mise en réseau sécurisée et des capacités de programmation étendues pour faire face aux volumes croissants de données dans les applications d’IA et d’automatisation. Pour cela, la Suisse doit mettre en place les infrastructures nécessaires pour assurer une connectivité suffisante et une transmission optimale des données. Cela n’est possible que si le réseau 5G est entièrement déployé en Suisse (voir Communication ultra-fiable à faible latence). 

En outre, l’augmentation fulgurante du volume de données collectées, y compris les données personnelles du personnel et de la clientèle, soulève de nouvelles questions concernant la sécurité, la protection et l’utilisation des données, qui sont encore largement non réglementées. Une nouvelle loi régissant l’utilisation des données de systèmes d’IA n’est attendue en Suisse qu’en 2028. Une telle réglementation devrait suffisamment protéger le droit d’accès aux données personnelles sans entraver l’innovation, ce qui représente un défi majeur pour les législateurs et législatrices, compte tenu de sa complexité. 

L’utilisation des nouvelles technologies peut conduire à des applications orientées vers un contrôle et une surveillance accrus du personnel, avec des conséquences négatives sur leur satisfaction. En outre, le risque de discrimination de certains groupes sociaux par les systèmes d’IA utilisés comme aides à la décision est particulièrement élevé. Cela est dû au fait que les données d’entraînement des algorithmes d’apprentissage profond utilisés à cet effet peuvent contenir un biais social ou une base factuelle insuffisante, ce qui conduit souvent à des décisions déloyales, par exemple dans le domaine bancaire ou des assurances. 

Accent sur l’industrie

L’industrie suisse est engagée dans un processus de transformation exigeant vers une production durable et résiliente. L’industrie 5.0 la soutient lorsqu’elle évolue vers une « économie des postes de travail qualitatifs ». Par poste de travail qualitatif, on entend un emploi qui offre une sécurité économique, de bonnes assurances sociales et un degré raisonnable d’autonomie. En général, ces collaboratrices et collaborateurs sont plus satisfaits, s’identifient davantage à leur travail, utilisent et initient des solutions numériques, restent fidèles à leur entreprise et restent en bonne santé plus longtemps. 

La possibilité de collecter et d’analyser les données de la clientèle en temps réel favorise l’innovation en matière de produits et de services. Les entreprises peuvent ainsi mieux répondre aux exigences sans cesse changeantes du marché. Dans le cas des PME en particulier, il s’est avéré que les solutions technologiques de l’industrie 4.0 ne garantissaient pas à elles seules les gains d’efficacité escomptés, car la fabrication industrielle n’était pas suffisamment axée sur des gammes de produits différenciées et des fréquentes fluctuations de la demande. 

L’environnement de travail de l’industrie 5.0 nécessite un changement de culture et de conscience dans toute l’entreprise, qui valorise la collaboration entre les personnes et les technologies et encourage le personnel à participer à ce changement de paradigme. Pour cela, il a besoin de connaissances théoriques et de l’application de technologies de pointe, telles que l’IA, la robotique et l’analyse de données. La Suisse souffre toutefois d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, car le marché du travail est presque nul en raison des besoins élevés des géants de la tech et des multinationales. Les programmes de reconversion et de formation continue devraient donc être soutenus de manière ciblée. 

Perspectives internationales

En tant que pôle d’innovation à l’échelle internationale, la Suisse est parfaitement à la hauteur dans le domaine de la recherche et du développement. Toutefois, les progrès réalisés dans les applications de l’industrie 5.0 sont subordonnés à des économies d’échelle significatives en termes d’investissement dans la recherche et de main-d’œuvre. Ils dépendent également d’une infrastructure de données suffisante. Dans ce domaine, en tant que petit pays, les possibilités de la Suisse sont limitées par rapport à d’autres nations ou aux géants de la technologie tels que Google, Amazon et Facebook. Des mécanismes efficaces de soutien au transfert de technologie des instituts de recherche vers les PME pourraient compenser partiellement ce handicap. 

Applications futures

Le concept de l’industrie 5.0 évoluera dans des domaines qui ne relèvent pas de l’industrie manufacturière, tels que l’éducation ou la santé. À l’école, il sera possible d’adapter les logiciels d’apprentissage informatisés aux besoins individuels des élèves. Dans le domaine de la santé, les nouvelles technologies peuvent améliorer de manière significative les compétences thérapeutiques du personnel soignant ou du personnel médico-technique. Cela leur permettrait d’assumer des tâches médicales qui étaient jusqu’à présent réservées au personnel médical disposant d’une longue expérience professionnelle. Cela pourrait atténuer la pénurie de main-d’œuvre médicale, faire baisser les coûts de la santé et rendre le profil professionnel de nombreux spécialistes non médecins plus intéressant. 

Dans l’ensemble, l’industrie 5.0 représente un avenir prometteur. L’association de la créativité humaine et de la précision technologique offre un potentiel énorme pour une production plus efficace, personnalisée et durable. Les entreprises qui identifient et exploitent ces opportunités connaîtront le succès à long terme et apporteront une précieuse contribution à la société.

Informations complémentaires

F Dell’Acqua, E McFolland, E Mollick, H Lifshitz-Assaf, KC Kellogg, S Rajendran, L Krayer, F Candelon, KR Lakhani. (2024) Navigating the jagged technology frontier: Field experimental evidence of the effects of AI on knowledge worker productivity and quality

F Barjak, D Foray, M Woerter. (2022) Maîtriser des complexités multiples – un défi croissant pour les modèles d’innovation suisses

M Breque, L De Nul, A Petridis. (2021) Industrie 5.0. Towards a sustainable, human-centric and resilient European industry

A Agrawal, J Gans, A Goldfarb. (2019) Artificial intelligence: the ambiguous labor market impact of automating prediction

D Acemoglu, P Restrepo. (2018) The race between man and machine: implications of technology for growth, factor shares and employment

E Brynjolfsson, T Mitchell, D Roch. (2018) What can machines learn and what does it mean for occupations and the economy? 

Mots-clés

numérisation, automatisation, big data, IA, innovation pour l’augmentation de l’être humain, amélioration du monde du travail 

Acteurs et actrices académiques

Raoul Waldburger (BFH), Konrad Wegener (ETH de Zurich) 

Entreprises

Google, IBM, Swiss Factory Group