Le Technology Outlook explique les technologies d’avenir. Il adopte le point de vue de la Suisse en tant que laboratoire d’idées et pôle économique pour comparer ces technologies et identifie les tendances qui revêtent une importance particulière pour le pays. Les technologies sont évaluées selon deux critères : leur importance économique et la compétence de recherche en Suisse.
Publié tous les deux ans, le Technology Outlook traite dans son édition actuelle de 31 technologies, dont 16 figurent pour la première fois dans l’étude. Cet article dresse un état des lieux de l’importance de ces technologies pour la Suisse et présente les évolutions générales. Trois thèses y sont défendues :
Les domaines de la recherche consacrés à l’énergie et à l’environnement, ainsi qu’aux procédés de fabrication et aux matériaux, ont gagné en importance et prendront encore plus de place à l’avenir. Cette évolution est directement liée à un discours écologique de plus en plus présent, qui incite à agir de manière toujours plus urgente.
Un cluster de technologies visant à réduire les émissions de CO2 est en train d’émerger. Parallèlement, des procédés utilisant le CO2 comme matière première voient le jour. De nombreux indices laissent présager que le CO2 deviendra à l’avenir une matière première, ouvrant la voie à une économie du CO2.
La Suisse est un site apprécié par les grands groupes informatiques internationaux, qui y ouvrent leurs succursales. Cela ne doit pas occulter le fait que les petites et moyennes entreprises ont de plus en plus de difficultés à suivre le rythme de la numérisation. Il est très probable que cet écart se creuse et que la concurrence s’intensifie.
Dans son édition actuelle, le Technology Outlook observe 31 technologies avec un niveau de maturité technologique situé entre 4 et 7, décrit leur évolution et présente les opportunités et les défis qu’elles représentent pour la Suisse. Parmi ces 31 technologies, 16 (soit environ la moitié) figurent pour la première fois dans le Technology Outlook.
Cette sélection repose sur les activités de prospective de la SATW. Elle s’appuie notamment sur des entretiens qualitatifs avec des spécialistes des domaines de recherche concernés, sur une enquête quantitative menée auprès des comités de prospective de la SATW, ainsi que sur des recherches bibliographiques (voir Méthodologie).
La pertinence des technologies pour la Suisse peut être déterminée selon deux critères : la compétence de recherche en Suisse et l’importance économique pour le pays. Ces critères sont représentés sous forme d’axes dans le graphique 1, qui répartit les technologies en quatre catégories : « stars », « succès assurés », « niches » et « espoirs ».
Graphique 1 : Importance relative des technologies pour la Suisse. L’axe horizontal représente l’importance économique des technologies, et l’axe vertical la compétence de recherche en Suisse. La géothermie profonde et le calcul quantique sont absents du graphique, faute de données pertinentes. La méthodologie fournit des informations sur le calcul des coordonnées. (Télécharger le graphique : PDF | PNG)
La case supérieure droite est celle des « stars ». Il s’agit de technologies relativement matures et établies, qui revêtent une grande importance économique en Suisse. Par ailleurs, il existe de nombreux groupes de recherche actifs et compétents dans ces domaines, tant dans l’industrie que le monde scientifique. La catégorie des « stars » compte notamment la bioinspiration et la biointégration, l'industrie 5.0, l'internet des objets (Internet of Things, IoT), la nutrition personnalisée, les carburants synthéthiques (« synfuels ») et la communication ultra-fiable à faible latence (Ultra Reliable Low Latency Communications, URLLC).
La case située en dessous, en bas à droite, contient la catégorie des « succès assurés ». Ces technologies jouent un rôle très important pour l’économie nationale, bien que la compétence de recherche en Suisse soit faible dans ce domaine. Généralement, il s’agit de technologies qui sont largement utilisées, mais qui évoluent lentement. Les investissements dans la formation initiale et continue devraient porter leurs fruits. Parmi les « succès assurés » figurent la biocatalyse, le béton bas carbone, les plastiques à base de CO2, les capteurs à fibres optiques, l’être humain augmenté, les colles et produits d’étanchéité durables, ainsi que la biologie de synthèse.
En haut à gauche se trouvent les « niches » technologiques. La Suisse dispose d’une compétence solide dans ces domaines, mais les chiffres d’affaires générés sont faibles. Il convient d’évaluer si des investissements accrus dans les activités de R&D se traduiront réellement par une augmentation des chiffres d’affaires. Les « niches » comprennent l’observation de la Terre, la photosynthèse artificielle et les technologies à émissions négatives.
Dans la case inférieure gauche, enfin, se trouvent les « espoirs ». Les chiffres d’affaires générés par ces technologies sont faibles, tout comme les compétences scientifiques et industrielles dans ces domaines. Leur évolution dans les années à venir devra être suivie de près : deviendront-elles des « niches », des « succès assurés », voire des« stars » ? Ou resteront-elles des « espoirs » ? Finiront-elles un jour par disparaître ? À l’heure actuelle, les technologies suivantes sont considérées comme des « espoirs » : matériaux 2D, bactériophages, bioplastique issu de déchets, batteries flexibles, recyclage du plastique, pérovskite, recyclage du phosphore, photonique à base de diamant, circuits photoniques intégrés (Photonic Integrated Circuits, PIC), technologies plasma, hydrogène, ARNm et isolants électriques thermoconducteurs (Thermal Interface Materials, TIM).
Ces technologies sont issues de cinq domaines de recherche : monde numérique, énergie et environnement, procédés de fabrication et matériaux, sciences de la vie et sciences spatiales. Le tableau 1 présente la répartition des 31 technologies dans les cinq domaines de recherche.
| Nombre de technologies | Proportion | Dont nouvelles technologies | Proportion | |
|---|---|---|---|---|
| Monde numérique | 5 | 16 % | 2 | 13 % |
| Énergie et environnement | 8 | 26 % | 5 | 31 % |
| Procédés de fabrication et matériaux | 10 | 32 % | 5 | 31 % |
| Sciences de la vie | 7 | 23 % | 3 | 19 % |
| Sciences spatiales | 1 | 3 % | 1 | 6 % |
| Total | 31 | 100 % | 16 | 100 % |
Si l’on considère la pertinence des technologies décrites ici dans un contexte plus large, deux tendances se dégagent. Toutes deux vont profondément marquer l’économie et la société suisses au cours des prochaines années. D’un côté, les thématiques environnementales ont nettement gagné en importance ; de l’autre, la numérisation continue de progresser, même si le débat autour des nouvelles technologies numériques s’est fait un peu plus discret.
L’essor des thématiques environnementales se confirme à la fois à travers une analyse transversale des différentes technologies présentées dans le Technology Outlook actuel, mais aussi via les tableaux 1 et 2 qui viennent appuyer cette impression.
| 2019 | 2021 | 2023 | 2025 | |
|---|---|---|---|---|
| Monde numérique | 32 % | 35 % | 35 % | 16 % |
| Énergie et environnement | 21 % | 19 % | 19 % | 26 % |
| Procédés de fabrication et matériaux | 11 % | 15 % | 16 % | 32 % |
| Sciences de la vie | 37 % | 31 % | 29 % | 23 % |
| Sciences spatiales | 3 % |
La transformation abordée ici se traduit par une augmentation du nombre de technologies non seulement dans le domaine de l’énergie et de l’environnement, mais aussi dans celui des procédés de fabrication et des matériaux. Bien que chaque objet physique fabriqué par l’être humain dans notre environnement soit composé de matériaux, on parle très peu de leur rôle, de leur importance et de leurs conséquences, à l’exception du plastique. Toutefois, la situation est en train de changer.
Les thématiques environnementales prendront encore plus d’importance dans les années à venir. Cette évolution se reflète non seulement dans le développement technologique, mais également dans les décisions politiques et les programmes-cadres, comme le montrent des initiatives telles que le Green New Deal de l’Union européenne.
Les questions relatives à la durabilité, à la compatibilité environnementale et à l’utilisation des ressources, ainsi que celles liées aux cycles de vie des produits et au recyclage des matériaux, revêtent une importance stratégique. La pérennité des entreprises dépendra de plus en plus de leur positionnement sur les questions de durabilité. Les activités ESG (Environnement, social et gouvernance) deviendront un élément central de la chaîne de valeur ; entretenir son image de marque ne suffira plus.
La deuxième évolution majeure qui continuera d’influencer fortement la Suisse en tant que laboratoire d’idées et pôle économique est la transformation numérique. Celle-ci ne cesse de progresser, bien que cette édition du Technology Outlook présente un nombre historiquement bas de technologies numériques. Ce qui semble contradictoire à première vue s’explique, en réalité, par l’avancée de la transformation numérique elle-même. En effet, bon nombre des technologies qui ont marqué le débat autour de la numérisation de l’économie et de la société ces dernières années ont atteint leur maturité et sont aujourd’hui disponibles sur le marché. Elles ne font donc plus l’objet de rapports prospectifs tels que le Technology Outlook. C’est le cas notamment de la 5G, de l’analyse du big data, de la blockchain, des jumeaux numériques, de la réalité étendue, de l’apprentissage automatique et du vaste domaine de l’intelligence artificielle. Cela ne signifie pas que les réflexions stratégiques autour des technologies numériques sont arrivées à leur terme, mais plutôt que cette priorité sort du domaine prospectif pour aller vers le processus d’innovation et de développement de produits.
Changement climatique, raréfaction des ressources, incertitudes dans les chaînes d’approvisionnement, volatilité croissante des marchés de l’énergie, plastique et ses conséquences : autant de défis auxquels des spécialistes ingénieux tentent de répondre.
Parallèlement, il apparaît clairement que le développement de technologies, de procédés et de matériaux plus respectueux de l’environnement et des ressources, basés sur des matières premières locales et renouvelables, serait souhaitable. Des entreprises innovantes démontrent régulièrement qu’un engagement en faveur d’une économie plus verte est souvent payant et que la durabilité ouvre la voie à de nouveaux modèles commerciaux.
Dans ce contexte, on observe l’émergence d’un cluster de technologies visant à réduire les émissions de CO2, voire à utiliser ce gaz comme matière première. Cela inclut des procédés innovants tels que les plastiques à base de CO2, mais aussi des technologies plus abouties et déjà bien établies telles que le béton bas carbone, la photosynthèse artificielle, les technologies à émissions négatives et les carburants synthétiques, également appelés « synfuels ».
Depuis quelques années, le concept d’économie du CO2, ou « Carbon Circular Economy », fait l’objet de discussions tant dans les milieux spécialisés qu’en politique. Il s’agit d’une économie circulaire appliquée au dioxyde de carbone. Ce concept part du principe que les objectifs climatiques ne pourront être atteints que si l’on parvient non seulement à réduire massivement les émissions de CO2, mais aussi à déployer les technologies à émissions négatives à grande échelle. La tarification des émissions et le marché des certificats créent des incitations à éviter les émissions, à les capturer, voire à utiliser le CO2 comme matière première. L’idée sous-jacente est de maintenir le CO2 dans un cycle, c’est-à-dire de le capter directement à la source ou de l’extraire de l’atmosphère à l’aide de technologies à émissions négatives.
Ce qui est important ici, c’est le changement qui s’exprime dans ce cluster technologique : le CO2 n’est plus considéré uniquement comme un problème, mais également comme une ressource à gérer. Si les projections climatiques se confirment et que la pression sur les milieux économiques et scientifiques s’intensifie pour trouver des solutions, les efforts mondiaux pour éviter le CO2 et le réutiliser devront être considérablement renforcés. On pourra alors interpréter l’émergence d’une économie du CO2 comme le début d’un nouveau cycle d’innovation. Celui-ci pourrait, à terme, avoir un impact aussi profond sur l’économie et la société que les grandes vagues d’innovation du passé, comme la mobilité de masse résultant de la démocratisation de l’automobile, l’automatisation de la production ou encore la transformation numérique en cours.
De nouveaux procédés, technologies et produits vont voir le jour, mais aussi de nouveaux modèles commerciaux et systèmes de valeurs. Le CO2 deviendra un thème central. Aucune entreprise ne pourra l’ignorer et toutes devront rendre compte de leur propre empreinte écologique.
Quelles opportunités cela représente-t-il pour la Suisse ? Il est peu probable que les technologies à émissions négatives, les plastiques à base de CO2 et le béton bas carbone deviennent des produits d’exportation majeurs pour la Suisse. En revanche, le pays dispose de compétences scientifiques et industrielles de très haut niveau dans tous ces domaines. Ce constat témoigne d’un potentiel considérable pour l’exportation de savoir-faire.
La Suisse peut tirer parti de son statut de laboratoire d’idées et de pôle économique innovant et, grâce à ces technologies, s’imposer durablement comme une économie responsable et guidée par des valeurs. Reste à clarifier les enjeux stratégiques liés à ce développement, tant pour la Confédération et les cantons que pour le secteur de la formation, de la recherche et de l’innovation (FRI).
Depuis sa première édition en 2015, c’est la première fois que le Technology Outlook contient aussi peu de technologies issues du domaine de recherche « Monde numérique ». Cela ne signifie pas que la transformation numérique est achevée ou que les thématiques, les technologies et les questions liées au numérique ont perdu de l’importance. Au contraire, bon nombre des technologies numériques décrites dans les éditions précédentes du Technology Outlook sont désormais arrivées à maturité et largement déployées.
L’Internet des objets est devenu la technologie la mieux notée du Technology Outlook. Grâce à des puces informatiques de plus en plus petites et efficaces, à des capteurs plus abordables et à une connectivité facile à mettre en œuvre avec d’autres dispositifs, des appareils et machines qui n’avaient aucun lien avec les technologies de l’information il y a quelques années encore deviennent désormais capables de traiter des données : ampoules, machines à café, réfrigérateurs ou fours, pour ne citer que quelques exemples dans le domaine de la maison connectée. Cette situation illustre à quel point la transformation numérique pénètre et transforme en profondeur notre environnement quotidien.
Depuis le lancement très médiatisé de ChatGPT et d’autres outils exploitant l’intelligence artificielle générative, il apparaît de plus en plus clairement que les ordinateurs peuvent désormais accomplir des tâches jusqu’à présent réservées aux êtres humains. On ne mesure pas encore pleinement dans quelle mesure ces applications vont redéfinir les interactions entre humains et machines. Des technologies telles que l’être humain augmenté, l’industrie 5.0 et l'internet des objets repoussent également les frontières entre monde virtuel et monde physique.
L’une des grandes questions des prochaines années sera donc de repenser la collaboration entre humains et machines. Il est probable que d’autres distinctions structurantes de notre société évoluent elles aussi sous l’effet de la transformation numérique. Des dichotomies comme information et savoir, consommateur et producteur, public et privé vont peu à peu s’estomper.
Ce changement s’accompagne d’une montée des incertitudes, contribuant à rendre les activités de prospective et les processus d’innovation toujours plus importants. Les organisations n’auront d’autre choix que de mener davantage de réflexions stratégiques et de se concentrer encore plus qu’aujourd’hui sur l’essentiel. Les contacts interpersonnels et les relations de confiance joueront également un rôle de plus en plus central.
Comment réussir la transformation numérique de l’économie suisse ? La Suisse occupe régulièrement les premières places dans les classements liés à la numérisation. Elle est notamment arrivée deuxième du World Digital Competitiveness Ranking (WDCR) publié en 2024 par l’IMD. Et ce pour de bonnes raisons : elle dispose d’excellentes hautes écoles, accueille d’importantes filiales de géants de l’informatique et possède des infrastructures de premier ordre. Cependant, ces atouts ne doivent pas masquer un fossé grandissant.
Une étude menée en 2025 par le Centre de recherches conjoncturelles de l’EPF Zurich montre que seulement 8 % des petites et moyennes entreprises utilisent des applications basées sur l’IA, contre un peu plus de 30 % dans les grandes entreprises. Ce chiffre illustre clairement l’écart croissant entre les PME et les grands groupes.
Les organismes de promotion économique, le secteur FRI et les associations professionnelles auraient donc tout intérêt à analyser les causes et les conséquences socio-économiques et culturelles de cette évolution. Si la Suisse veut rester compétitive sur la scène internationale, il est indispensable que les PME, qui constituent l’épine dorsale de l’économie helvétique, puissent tirer parti des avancées technologiques. Des études supplémentaires sont nécessaires pour déterminer comment y parvenir.