Géothermie profonde

Expert·e·s : Martin Saar (EPF Zurich), Stefan Wiemer (EPF Zurich)

La géothermie profonde, qui doit permettre d’exploiter l’énergie géothermique à plus de 400 mètres de profondeur, est une source d’énergie fiable, locale, sans émission de CO2 et renouvelable. De plus, le sous-sol profond peut servir d’accumulateur d’énergie saisonnier. À titre d’énergie en ruban, la disponibilité de la géothermie est ininterrompue. De ce fait, elle peut donc contribuer à stabiliser les réseaux électriques. C’est pourquoi elle est considérée comme un instrument important en vue d’atteindre la transition énergétique et l’objectif zéro émission nette.

Image: Joris Beugels, Unsplash

Définition

L’énergie géothermique est une énergie naturelle que l’on puise dans les profondeurs de la terre. Les températures augmentent continuellement de la surface jusqu’au noyau terrestre, où elles atteignent 6500 degrés Celsius. Les multiples procédés de la géothermie permettent de capter l’énergie thermique à différentes profondeurs.   

La géothermie peu profonde exploite l’énergie thermique des zones proches de la surface avec, par exemple, des sondes géothermiques et des pompes à chaleur, et est déjà largement répandue. Entre 400 et 8000 mètres environ, on a recours à des technologies de géothermie profonde. Les limites et les définitions sont toutefois variables, car les températures effectives dépendent non seulement de la profondeur, mais aussi des conditions géologiques du sous-sol. Les procédés qui exploitent la chaleur entre 400 et 3000 mètres font parfois partie de la géothermie de moyenne profondeur. Jusqu’à environ 1000 mètres sous la surface de la Terre, la température monte à environ 40 degrés Celsius mais elle est d’environ 160 degrés Celsius à 5000 mètres. En Suisse, les températures augmentent d’environ 3 degrés Celsius tous les 100 mètres de profondeur. Il est possible de produire de l’électricité à partir de températures supérieures à 100 degrés Celsius.  

L’utilisation de la géothermie profonde nécessite des forages complexes sur le plan technique et, selon la méthode utilisée, des systèmes d’échange de chaleur souterrains. Pour ce faire, il existe quatre technologies principales : 

  • Les systèmes hydrothermaux utilisent la chaleur des sols naturellement poreux ou présentant des fissures aquifères (réservoirs géologiques) à des profondeurs comprises entre 400 et 4000 mètres environ. L’eau chaude est alors amenée à la surface par un forage d’extraction.  Grâce à un échangeur de chaleur, l’énergie thermique peut ensuite être extraite de l’eau et utilisée pour le chauffage ou pour produire de l’électricité lorsque les températures sont suffisamment élevées. L’eau refroidie est ensuite réinjectée dans le réservoir par le biais d’un second forage. 

  • Les systèmes géothermiques basés sur la diffusion du CO2 (abrégés en systèmes CPG) combinent l’exploitation de la géoénergie avec la séquestration du CO2 dans le sous-sol profond et sont développés depuis 2015 par le groupe de recherche Geothermal Energy and Geofluids (GEG) de l’EPF de Zurich sous la direction de Martin Saar. Au lieu de l’eau, le dioxyde de carbone liquide (CO2) est comprimé dans des réservoirs géologiques naturellement perméables où il se réchauffe partiellement. Ces réservoirs, qui possèdent en même temps une grande capacité de stockage du CO2, se trouvent à une profondeur d’au moins 2 kilomètres. Le CO2 réchauffé est ramené à la surface, où il est directement utilisé comme source de chaleur ou transformé en électricité. Après utilisation, le CO2 refroidi est à nouveau liquéfié, on y ajoute du CO2 supplémentaire provenant d’installations de captage (de l’industrie cimentière ou des usines d’incinération des ordures ménagères par exemple) et on le réintroduit dans le réservoir de stockage. Tout le CO2 est ainsi séquestré en permanence dans le sous-sol. En outre, comme la viscosité du CO2 liquide est inférieure à celle de l’eau, le rendement en énergie géothermique est environ deux fois plus élevé que dans les centrales électriques utilisant de l’eau chaude. Les installations CPG sont donc des centrales géothermiques particulièrement efficaces qui stockent également du CO2.  

  • Les systèmes pétrothermaux, parfois aussi appelés systèmes EGS (Enhanced ou Engineered Geothermal Systems), fournissent de la chaleur à partir de formations rocheuses particulièrement profondes et naturellement exemptes d’eau dans des zones dépassant généralement les 5000 mètres de profondeur. L’eau est injectée à haute pression dans la roche cristalline au moyen d’un forage. Il en résulte de nouvelles fissures et de nouvelles voies d’écoulement artificielles qui sont reliées par d’autres forages pour former un système circulaire dans lequel l’eau pompée est chauffée. Elle est ensuite ramenée à la surface par le biais d’un second forage et est utilisée pour produire de la chaleur ou de l’électricité. 

  • Dans les systèmes géothermiques profonds dits en circuit fermé (anglais deep closed-loop Advanced Geothermal Systems, AGS), l’échangeur de chaleur est entièrement percé dans le sous-sol profond et installé avec des tuyaux dans des couches rocheuses chaudes dans lesquelles le liquide absorbe la chaleur ambiante. On creuse d’abord un puits à une profondeur de 4 à 8 kilomètres avant de percer plusieurs boucles horizontales d’un diamètre de 3 à 10 kilomètres.  

Les systèmes hydrothermaux et les systèmes CPG dépendent de réservoirs géologiques perméables dans le sous-sol. Si les EGS n’ont pas besoin de réservoirs perméables, certaines conditions doivent toutefois être réunies au niveau du sol, comme un champ de contrainte approprié. En revanche, les AGS sont en principe possibles partout. Toutefois, en raison des coûts de forage extrêmement élevés, ils ne sont pas encore rentables à l’heure actuelle. 

Applications actuelles et perspectives

Les systèmes hydrothermaux ont une longue histoire qui a commencé à l’origine avec la production d’eau thermale. Riehen (BS) abrite la plus ancienne et la plus grande installation énergétique de Suisse. Celle-ci produit depuis 30 ans de l’eau chaude à une température de 67 degrés Celsius à une profondeur d’un peu plus de 1500 mètres. L’énergie ainsi obtenue permet d’exploiter un réseau de chauffage à distance qui fournit de la chaleur à environ 10 000 personnes. De nouvelles installations hydrothermales sont prévues dans la région du lac Léman et dans le canton de Vaud, mais elles sont encore en phase de prospection et d’exploration. 

Le seul projet pétrothermal de Suisse est actuellement mené dans la commune de Haute Sorne (JU) par Geo-Energie Suisse, une coentreprise de différentes compagnies publiques d’approvisionnement en énergie. La technologie EGS doit permettre d’extraire de l’énergie pour la production d’électricité et de chaleur à une profondeur de 4000 à 5000 mètres. L’objectif est de produire plus de 20 gigawattheures d’électricité par an, ce qui correspond approximativement à la consommation de 6000 ménages. 

La géothermie de faible et moyenne profondeur offre un potentiel énorme pour l’approvisionnement en chaleur et en électricité respectueux de l’environnement et sans émission de CO2 en Suisse. L’énergie du sous-sol est dite « en ruban »,étant donné qu’elle est disponible en continu tout au long de l’année. Les installations qui fournissent directement de la chaleur permettent de couvrir plus de 10 % des besoins nationaux en chauffage. Pour l’électricité issue de la géothermie, les perspectives énergétiques de la Confédération pensent que 2 térawattheures est une estimation réaliste. Cela correspond à environ un quart de la production d’énergie de la centrale nucléaire de Gösgen.  

Ce développement est principalement mené par des actrices et acteurs académiques des groupes de recherche de l’EPF Zurich, de l’EPFL et des hautes écoles spécialisées de Suisse orientale et du Nord-Ouest de la Suisse. Des projets concrets sont élaborés par des bureaux d’études disposant du savoir-faire nécessaire et avec des fournisseurs d’énergie locaux et régionaux. Avec le projet phare AEGIS-CH, l’agence de soutien publique Innosuisse a soutenu le développement de l’AGS. 

Défis

Les EGS, dans lesquels les couches rocheuses du sous-sol sont stimulées par des injections à haute pression, sont particulièrement sensibles aux tremblements de terre induits. Ainsi, en 2006, l’injection d’eau lors de la construction d’une centrale électrique EGS à Bâle avait déclenché des secousses sismiques. Les trois autres centrales géothermiques profondes (systèmes hydrothermaux, CPG et AGS) présentent un risque sismique nettement plus faible. Il est essentiel, pour la sécurité, la rentabilité et l’acceptation sociale des centrales électriques EGS, d’étudier la manière dont ces séismes sont déclenchés. 

Afin d’améliorer continuellement la gestion des risques des projets de géothermie profonde en général et des projets EGS en particulier, le Service sismologique suisse (SED) a lancé en 2015 à l’EPF de Zurich le projet GEOBEST financé par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), qui s’étendra dans un premier temps jusqu’en 2027 sous le nom de GEOBEST2020+. Le SED y surveille les anciens projets suisses de géothermie profonde à l’aide d’un réseau de mesure hautement sensible. Ce faisant, le SED développe des modèles à même de prévoir les tremblements de terre provoqués artificiellement ainsi que des procédures appropriées pour minimiser le risque de tremblements de terre induits. 

La rentabilité de la production d’électricité ou de chaleur d’un projet dépend de la perméabilité de la roche et de la taille du réservoir. Mais comme le sous-sol profond de la Suisse est peu connu, de nombreux projets échouent dès l’exploration des conditions géologiques de la zone cible. Afin de minimiser le risque pour les promotrices et promoteurs de projets, l’Office fédéral de l’énergie accorde depuis 2018 des contributions pour la recherche des ressources géothermiques. Pour la période allant de 2025 à 2030, 180 millions de francs ont été alloués à cet effet.  

Les forages représentent jusqu’à 80 % des dépenses. Pour les projets réalisés dans des couches de roches très profondes, les coûts de forage s’élèvent à 100 000 francs voire plus par jour, en raison notamment de l’usure des têtes de forage due à l’abrasion. De ce fait, les appareils doivent être remplacés régulièrement, ce qui nécessite beaucoup de temps et d’argent. Le développement de nouvelles méthodes de forage sans contact, qui fonctionnent par exemple avec des lasers, des flammes, des impulsions de plasma ou des micro-ondes, permettrait d’éviter ou de réduire l’usure. Ces procédés représenteraient alors d’énormes économies financières et pourraient rendre la production d’énergie en profondeur plus compétitive. 

Accent sur l’industrie

La géothermie profonde joue un rôle important dans le développement et la production des systèmes de forage et des centrales électriques, ainsi que dans la production d’énergie. Un réseau interdisciplinaire composé d’institutions gouvernementales, de responsables de projets, de bureaux de géologie, d’entreprises de forage et d’entreprises énergétiques intervient tout au long de la chaîne de création de valeur. Le potentiel pour les start-up et les PME est limité, car la technologie nécessite des investissements importants et est dominée par de grandes entreprises établies du secteur de l’extraction de pétrole et de gaz. 

Les collaboratrices et collaborateurs qui travaillent dans le domaine de la planification et du développement de projets ont besoin de connaissances en géologie et en hydrogéologie. En outre, il existe une forte demande en main d’œuvre spécialisée dans les domaines de l’ingénierie de forage, de l’exploration et des systèmes énergétiques, mais aussi en juristes et en économistes. La question de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée ne doit pas être négligée en Suisse, car nous manquons d’expérience dans le domaine des forages pétroliers et gaziers. Toutefois, les services dans ce domaine peuvent être achetés auprès d’entreprises spécialisées à l’étranger. 

Perspectives internationales

Avec une puissance installée de près de 4000 mégawatts et une production annuelle d’électricité de 18,7 gigawattheures, les États-Unis sont les leaders internationaux en matière de production d’électricité géothermique, suivis par l’Indonésie et les Philippines avec respectivement 2400 et 2000 mégawatts (en 2022). Les Philippines ont fortement rattrapé leur retard et profitent, tout comme l’Indonésie, des conditions géologiques favorables de ses sous-sols volcaniques recouverts de nombreux champs géothermiques. Ces champs peuvent être exploités avec des centrales hydrothermales moins onéreuses. En Europe, la Turquie et l’Italie sont en tête. 

La géothermie profonde en Suisse est encore en phase de développement. Jusqu’à présent, nous nous concentrons sur la chaleur plutôt que sur l’électricité. Les conditions géologiques, notamment l’absence de réservoirs à haute température près de la surface, rendent difficile l’utilisation de la géothermie pour la production d’électricité par des systèmes hydrothermaux. Néanmoins, les projets et investissements actuels montrent un intérêt et un potentiel croissants. La recherche locale a tiré de précieuses conclusions des projets qui ont échoué à Bâle, Lavey-les-Bains (VD), Saint-Gall, Vinzel (VD) et Zurich. La Suisse joue également un rôle de premier plan au niveau international, notamment dans le domaine de l’évaluation des risques. Pour des raisons historiques, les pays riches en ressources naturelles ont une longueur d’avance sur la technologie du forage. 

Applications futures

Outre l’extension du projet à Riehen (BS), d’autres systèmes hydrothermaux sont prévus dans les cantons de Vaud, de Fribourg et du Valais. Aucun de ces projets n’est encore opérationnel. Lors d’un forage de prospection dans la commune de Vinzel (VD) au bord du lac Léman, on a découvert des couches aquifères à une profondeur d’environ 2200 mètres, mais leur température était toutefois trop basse. La poursuite de ce projet est donc aujourd’hui incertaine. Le seul projet ESG actuellement mené en Suisse, à Haute Sorne (JU), devrait produire de l’électricité à partir de 2029. Un éventuel passage à la phase de stimulation sera décidé fin 2025, lorsque les résultats des forages d’essai seront disponibles.  

Les systèmes CPG sont eux aussi toujours en cours de développement. En 2023, le groupe de recherche Geothermal Energy and Geofluids de l’EPF de Zurich a fondé le consortium CPG en collaboration avec l’industrie et avec le soutien de l’OFEN afin de tester la mise en œuvre commerciale du concept avec une installation de démonstration.  

La Suisse dispose d’un potentiel considérable pour l’exploitation de la chaleur géothermique. Comme les profondeurs de forage et donc les coûts de production de chaleur de chauffage sont moins élevés que pour la production d’électricité, il faut s’attendre dans les années à venir à ce que la majorité des installations de production directe de chaleur, par exemple dans les réseaux de chauffage urbain, aient recours à la technologie géothermique. 

Informations complémentaires

C Schifflechner, J de Reus, S Schuster, AC Villasana, D Brillert, MO Saar, H Spliethoff. (2024) Paving the way for CO2-plume geothermal systems (CPG) geothermal systems: a perspective on the CO2 surface equipment.  

AE Malek, BM Adams, E Rossi, HO Schiegg, MO Sarre. (2022) Techno-economic analysis of advanced geothermal systems (AGS)

AE Malek, BM Adams, E Rossi, HO Schiegg, MO Sarre. (2021) Electric power generation, specific capital cost, and specific power for advanced geothermal systems (AGS).  

E van Oort, D Chen, P Ashok, A Fallah. (2021) Constructing deep closed-loop geothermal wells for globally scalable energy production by leveraging oil and gas ERD and HPHT well Construction Expertise.   

EPF Zurich. Consortium CPG

Géothermie-Suisse. Association faîtière suisse des acteurs de la géothermie.  

Mots-clés

géothermie hydrothermale, géothermie pétrothermale, enhanced ou engineered geothermal systems (EGS), advanced geothermal systems (AGS), CO2 plume geothermal (CPG) systems 

Acteurs et actrice académiques

Peter Burgherr (PSI), Martin Saar (EPF Zurich), Silvia Ulli-Beer (ZHAW), Stefan Wiemer (EPF Zurich) 

Entreprises

BKW, CKW, Geo-Energie Suisse, Géothermie Préalpes, Geotest, Hydro-Géo Environnement, Ingenias, Orllati, Solexperts, Swiss Geo Energy