Expert·e·s: Lyesse Laloui (EPFL)
L’énergie géothermique captée à différentes profondeurs peut être utilisée pour le chauffage ou la climatisation des bâtiments, mais aussi pour la production d’électricité. Alors qu’en comparaison internationale, la Suisse affiche une très forte densité d’installations de géothermie de faible profondeur, l’utilisation de sources de chaleur à des profondeurs plus importantes offrant des températures plus élevées en est encore à un stade embryonnaire. Or la géothermie peut jouer un rôle non négligeable dans l’atteinte de l’objectif de zéro net d’ici à 2050 que la Suisse s’est fixé. Son potentiel pourrait être pleinement exploité grâce à une initiative nationale coordonnée visant à une meilleure compréhension des aspects géologiques et à l’utilisation de l’énergie géothermique. À cela vient s’ajouter la nécessité urgente de trouver des solutions permettant de récupérer l’énergie d’infrastructures souterraines comme les tunnels ou les parkings en sous-sol.
Image: Matt Palmer, Unsplash
L’énergie géothermique désigne la chaleur naturelle du sous-sol. Elle remonte à l’époque de la formation de la Terre, mais la désintégration radioactive des minéraux et l’énergie solaire absorbée à la surface produisent également un flux continu de chaleur. Plus de 99 pour cent du volume terrestre affichent une température supérieure à 1000 degrés Celsius alors que 0,1 pour cent seulement se situe à moins de 100 degrés Celsius. Les systèmes géothermiques sont des technologies qui ont recours à cette énergie. Leur classification est fréquemment effectuée en fonction des profondeurs des forages: jusqu’à 400 mètres, les systèmes sont considérés comme de faible profondeur; au-delà de 400 mètres, il s’agit de systèmes de grande profondeur. En faible profondeur, les installations travaillent avec des températures jusqu’à 25 degrés Celsius alors que la plage exploitée en grande profondeur va de 25 à 200 degrés Celsius.
Les systèmes géothermiques sont constitués de trois composantes principales: une source de chaleur, un puits de chaleur et un échangeur thermique, qui transfère l’énergie calorifique entre la source et le puits de chaleur. En règle générale, donc en mode chauffage, le sol constitue la source de chaleur et le bâtiment, le puits thermique, mais le cas inverse est également possible. Dans les systèmes fermés, l’échangeur thermique est un mélange d’eau. Ce fluide caloporteur circule dans un circuit clos, alors que dans les systèmes ouverts le captage de chaleur est effectué en puisant et en réinjectant l’eau souterraine.
À des profondeurs situées entre 10 et 15 mètres, la température du sol reste relativement stable, plus élevée que celle de l’atmosphère en hiver, plus basse en été. Les systèmes de faible profondeur valorisent des températures souterraines d’environ 25 degrés Celsius, captées par le biais de forages géothermiques verticaux très répandus et allant de 50 à 300 mètres. Ces systèmes à circuit fermé tirent parti des réserves énergétiques du sous-sol pour le chauffage et l’eau chaude et peuvent même servir de climatisation en été, en inversant le processus: la chaleur est extraite du bâtiment pour être stockée dans le sol. Les applications de forage simple se limitent à des bâtiments de petite taille ou à des maisons individuelles, sans distinction, ou presque, de la situation géographique; la desserte de bâtiments plus importants nécessite quant à elle des champs de sondes. La Suisse, pays avec la plus forte densité de forages de faible profondeur au monde, a produit 5,5 pour cent de la chaleur nécessaire à la génération de chauffage et d’eau chaude au moyen de systèmes géothermiques en 2021.
Les systèmes géothermiques de grande profondeur opèrent avec des températures souterraines entre 25 et 200 degrés Celsius et sont utilisés pour la production de chauffage, d’eau chaude et d’électricité. Ils conviennent pour des zones bâties de grande taille, mais requièrent, contrairement aux systèmes de faible profondeur, des conditions géologiques spécifiques. Les systèmes hydrothermaux tirent parti de l’eau chaude présente naturellement à des profondeurs de 1000 à 4000 mètres et la captent pour alimenter des réseaux de chaleur à distance, mais aussi pour chauffer des bâtiments industriels ou agricoles de grande taille. Leur implantation est toutefois restreinte par la nécessité de disposer de gisements d’eau chaude dans le sous-sol. À l’inverse, les systèmes pétrothermaux opèrent sans avoir recours à l’eau souterraine; depuis la surface, ils injectent de l’eau dans des puits de forage d’une profondeur de 4000 à 6000 mètres. L’eau se réchauffe en circulant à travers les fissures de la roche puis est acheminée à la surface pour y être exploitée. L’énergie thermique emmagasinée à ces profondeurs peut être utilisée pour produire de l’électricité.
Jusqu’à présent, la mise en œuvre de la géothermie était essentiellement entravée par la concurrence d’alternatives bon marché et par sa faible acceptation, bien plus que par les limites du progrès technique. Avec la hausse du prix des combustibles fossiles et le changement des mentalités face aux ressources géothermiques existantes, il est vraisemblable que les technologies liées à la géothermie joueront un rôle de plus en plus important dans la composition du mix électrique, tout comme dans le chauffage et la climatisation des bâtiments.
Après l’énergie solaire, l’énergie géothermique est la deuxième source d’énergie primaire dans le monde. Considérée comme durable, cette source d’énergie renouvelable entraîne très peu d’émissions de gaz à effet de serre. De plus, elle est toujours disponible, indépendamment des conditions météorologiques ou de la saison. La géothermie permet de réduire les émissions de CO2 et la dépendance à l’égard des importations d’énergie, ce qui, compte tenu de la crise énergétique actuelle et de l’objectif zéro émission nette d’ici à 2050 de la Suisse, est primordial. En effet, 75 pour cent de la consommation d’énergie d’un bâtiment sont imputables à l’énergie thermique, lesquels sont générés pour plus de la moitié par des combustibles fossiles comme le pétrole ou le gaz. Les 4,6 térawattheures de chaleur géothermique produite en Suisse en 2021 ont permis d’économiser l’équivalent de 403 000 tonnes de mazout, soit 1 274 700 tonnes de rejet de CO2, ce qui est supérieur aux émissions annuelles de la ville de Zurich.
En Suisse, la géothermie profonde et de grande profondeur, ainsi que l’exploitation de son potentiel, en sont encore à leurs balbutiements. D’une manière générale, il est nécessaire de mieux comprendre le sous-sol de la Suisse et le potentiel géothermique qu’il détient, simplifiant notamment les nouveaux projets ou encore la sélection de sites de forage appropriés. Ces connaissances permettront également de réduire les risques qu’un tremblement de terre soit déclenché par un forage de géothermie de grande profondeur, comme cela s’est déjà produit. De nombreux groupes de recherche, en Suisse et à l’étranger, étudient les tremblements de terre artificiels afin de mieux en comprendre les mécanismes. Le projet suisse GEOBEST surveille les projets de géothermie profonde déjà réalisés et élabore des modèles prédictifs portant sur les tremblements de terre déclenchés artificiellement à partir des données collectées. Un risque non négligeable demeure lors de la mise en valeur d’un réservoir géothermique: celui de ne pas pouvoir mobiliser un débit d’eau thermale et/ou une température de gisement aux caractéristiques suffisantes, ce qui ne permet alors plus de rentabiliser les investissements initiaux importants. Les forages géothermiques risquent également d’affecter négativement le sol et les eaux souterraines ou de les polluer. De plus, ils sont en concurrence avec les stockages souterrains de gaz et les plans de séquestration du CO2 dans le sous-sol.
La population est sceptique face à cette technologie, la crainte de tremblements de terre induits étant très répandue. Pour autant, la possibilité qu’offrent les forages géothermiques de notamment climatiser les bâtiments en été n’a pas encore été clairement perçue au sein de la population.
En ce qui concerne la production d’électricité, la géothermie n’occupe pas une place de premier plan dans la stratégie énergétique actuelle. Les programmes exploratoires étant longs et leurs résultats incertains, il semble probable que seuls les projets de géothermie déjà prévus seront réalisés d’ici à 2035. Une initiative nationale coordonnée visant à une meilleure compréhension des aspects géologiques et à l’utilisation locale et régionale de l’énergie géothermique serait d’une grande utilité. Le but doit également être d’envisager de manière accrue la possibilité de récupérer l’énergie dans l’environnement bâti et de l’intégrer aux projets de construction. Pour cela, les géostructures sont mises à profit; ce terme désigne les éléments constructifs qui sont en contact direct avec le sol et qui peuvent servir à la conduction thermique. Il s’agit par exemple des pieux énergétiques, des dalles de fondation ou des murs de soutènement de sous-sols et de parkings souterrains qui agissent à la façon d’une sonde thermique. Un travail de sensibilisation du public et une communication transparente peuvent contribuer à neutraliser les craintes de la population.