Expert·e·s: Eliane J. Müller (Universität Bern)
Utiliser des cellules souches vivantes et en grandes quantités dans des applications du domaine médical voire dans l’industrie agroalimentaire nécessitera de savoir les cultiver en masse. Elles permettent de remplacer des cellules ou des tissus endommagés par des maladies graves, de faire de la recherche et même de fabriquer de la viande cultivée – également connue sous le nom de viande de laboratoire ou viande in vitro. On ne sait pas encore si cette application finira par s’imposer. Dans le domaine médical, cette technologie est bien acceptée par la population, pour autant qu’elle soit fortement réglementée. Pour la Suisse, dotée d’un excellent secteur MedTech, cette technologie offre donc des perspectives économiques intéressantes sur un marché à fort potentiel.
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Les cellules souches sont des cellules qui peuvent se multiplier à l’infini. Elles constituent la base du développement embryonnaire et sont, tout au long de la vie d’une importance cruciale pour la régénération de certains tissus. Ainsi, les cellules souches, en se divisant, créent d’autres cellules souches ou bien, sous l’influence des signaux propres du corps, des cellules spécialisées dotées de tâches précises. Les biologistes distinguent entre cellules souches de différentes natures qui forment soit un organisme entier, soit se limitent à la régénération d’organes particuliers ou de types de cellules. La culture en masse consiste à multiplier en conditions contrôlées de grandes quantités de cellules souches à un niveau de qualité élevé afin de les utiliser directement en médecine thérapeutique ou régénérative et, à l’avenir, peut-être aussi dans l’industrie alimentaire.
Les cellules souches, endogènes ou non, recèlent un potentiel énorme pour la recherche, le traitement de lésions ou la prise en charge de maladies graves. Aujourd’hui, on les utilise pour régénérer ou remplacer des cellules ou des tissus détériorés à la suite de maladies sanguines, dermatologiques ou oculaires, et très rarement, pour des problèmes osseux. Un grand nombre d’autres applications possibles sont encore au stade des essais cliniques et font avant tout l’objet d’un soutien dans le cadre de projets de recherche internationaux. Les cellules souches forment donc un volet important de la médecine thérapeutique, mais aussi régénérative dont le but est la guérison de cellules, de tissus ou d’organes affectés par des troubles fonctionnels. L’un des prochains jalons sera la fabrication d’organoïdes. Il s’agit de microstructures de quelques millimètres, semblables à des organes et dérivées de cellules souches dans des bioréacteurs (voir showcase Implants depuis le haut-parleur), que l’on peut utiliser à des fins scientifiques ou thérapeutiques. Les applications visées s’orientent également vers des thérapies basées sur les cellules souches pour les maladies immunologiques et inflammatoires.
Une autre application est discutée dans l’industrie alimentaire et porte concrètement sur la viande in vitro (voir article Sources alternatives de protéines, voir showcase Impression 3D de produits alimentaires), autrement dit la viande cultivée en laboratoire à partir de cellules animales. Mais aujourd’hui, ce marché de petite taille n’offre qu’un potentiel incertain, en Suisse comme à l’étranger. De plus, ces produits sont encore très coûteux et les principaux arguments – réduction des antibiotiques et meilleur bilan écologique – ne sont pas avérés.
La culture en masse des cellules souches donne lieu à des opportunités considérables pour la société: elle promet le traitement, voire la guérison, de nombreuses maladies graves et représente une étape importante vers une prise en charge médicale personnalisée au moyen de cellules souches endogènes. Les exigences juridiques et réglementaires sont élevées et il sera indispensable d’en vérifier scrupuleusement la mise en œuvre pour éviter des conséquences négatives. La culture de cellules souches à des fins thérapeutiques laisse entrevoir un marché qui se chiffre en milliards. Pour la Suisse, qui occupe une position de leader mondial dans le domaine de la technologie médicale, le soutien de cette technologie, qui découle notamment de projets de recherche universitaires avancés, est un passage obligé.
En ce qui concerne les objectifs thérapeutiques, la production en grandes quantités de cellules souches vivantes et fonctionnelles s’impose. Pour cela, il convient de poursuivre les développements des réacteurs et du traitement postmultiplication. Aujourd’hui, la culture en masse des cellules souches est effectuée la plupart du temps dans ce qui s’appelle des usines cellulaires, un empilement de bacs plastiques stériles qui peut en compter jusqu’à 40 et couvrir jusqu’à un mètre carré. Cela permet d’obtenir en rendement élevé, même si la manipulation et la surveillance des cellules et de leur croissance sont complexes. On peut également multiplier les cellules souches dans un bioréacteur; toutefois une surveillance stricte du processus est indispensable. L’utilisation de l’impression 3D pour créer des réacteurs adaptés aux propriétés des cellules est un axe de recherche encourageant, qui peut potentiellement apporter des solutions à certains des enjeux actuels.
Promouvoir la culture de cellules souches et leurs applications thérapeutiques dans le cadre de la médecine régénérative à un niveau comparable à celui de la recherche sur le cancer se montrera bénéfique. De plus, il est également important de se concentrer davantage sur la régénération et la prévention que sur les traitements médicamenteux. Pour cela, il importe de continuer à épurer les rapports entre les milieux universitaires, politiques et pharmaceutiques afin de neutraliser les activités de lobbying soutenues de l’industrie pharmaceutique et de promouvoir des développements innovants et créatifs dans le domaine des thérapies cellulaires.